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Le conflit entre patriotisme et journalisme:
les journalistes peuvent-ils prendre partie?

Conférence de Jeffrey Dvorkin et Arthur Kent à l'University of British Columbia Robson, le 27 octobre 2003

Introduction par Donna Logan, directrice de l'École de journalisme de l'University of British Columbia et membre de la direction du Consortium canadien de recherche sur les médias.

Introduction

Voici le questionnement qui guidera la discussion entre nos deux invités. Jeffrey Dvorkin, ancien journaliste de CBC Radio et directeur de National Public Radio (NPR) à Washington, est aujourd'hui l'ombudsman de NPR. Arthur Kent, ancien correspondant de guerre, a suivi la majorité des conflits internationaux au cours de sa carrière.

À première vue, le patriote et le journaliste sont en opposition. Est-ce possible d'être les deux à la fois? Est-ce que le patriotisme mine le bon journalisme? Est-ce que les journalistes peuvent prendre position et devraient-ils le faire?

Lorsque nous observons la couverture médiatique en temps de guerre (de l'Afghanistan à l'Iraq), nous nous rendons vite compte que des groupes essaient d'influencer les médias. Constamment, nous devons donc nous demander si l'information qui se rend à nous est véridique ou bien si c'est ce que l'on essaie de nous faire passer pour la vérité.

Commentaires de Jeffrey Dvorkin

Comme ombudsman, il reçoit des milliers de lettres, de courriels et d'appels de la part d'auditeurs qui veulent s'exprimer sur la programmation de NPR. L'an dernier, parmi les quelque 45 000 commentaires qu'il a reçus, un thème central revenait : le parti pris des médias dans leurs reportages journalistiques.

D'après lui, à partir du moment où les réseaux de télévision exigèrent que leur service de nouvelles soient rentables, on changea la façon de « faire des nouvelles ». On identifia ce qui coûtait le plus cher à produire et on l'élimina. C'est ainsi que les actualités internationales furent reléguées au second rang. Après la chute du mur de Berlin, l'information internationale, disait-on, n'intéressait plus le public. Ce qui l'intéressait, c’étaient plutôt la vie des gens célèbres ainsi que les crimes. Il fallait donc couvrir ces sujets pour maintenir l'auditoire et garantir des revenus.

Au bout du compte, on se préoccupe plutôt du retour sur l'investissement pour les actionnaires que de bien servir le public.

Au même moment, les talk radio gagnent en popularité. Leur spécialité, qui consiste à mélanger les opinions et les faits, ne sert pas bien le public, qui a de la difficulté à faire la différence entre les deux. De plus, ces diffuseurs n'ont pas l'obligation d'exposer tous les points de vue. Bien souvent, ils n'en présentent alors qu'un seul : celui auquel ils adhèrent.

Jeffrey Dvorkin craint que cette façon de faire n'ait contaminé les organisations dédiées à la nouvelle. Il est de plus en plus difficile d'informer avec objectivité lorsque la subjectivité gagne du terrain dans les médias. En bout de ligne, la majorité de ceux-ci nous présentent aujourd'hui des opinions déguisées en information, indique-t-il.

En fait, selon lui, le monde de l'information est complètement infecté par l'opinion. Il croit qu'il faut revenir à des actualités basées sur les faits. Les journalistes ne doivent pas se sentir libres d'exprimer leur point de vue personnel à l'intérieur de leurs reportages. Les médias ont l'obligation de transmettre tous les faits à leur public pour lui permettre de se faire sa propre opinion. Les médias doivent se rappeler qu'ils sont au service de leur auditoire et non à celui des actionnaires ou des intérêts politiques.

Commentaires d'Arthur Kent

Les médias devraient-ils prendre position? Il croit qu'ils le font déjà dans le choix des histoires qu'ils décident de présenter. Ils doivent cependant prendre parti dans le souci du public. Pour Kent, la meilleure façon de procéder serait de présenter tous les faits en lien avec une histoire précise parce que c'est ainsi que les gens peuvent se faire leur propre opinion. Par contre, il déplore que les médias américains ignorent trop souvent cet univers factuel.

Au cours de la dernière année, ceux-ci se sont plutôt faits les porte-parole de l'administration Bush afin de déclencher et de poursuivre la guerre en Irak. Pour reprendre le terme exact employé par Arthur Kent, ils ont été « utilisés » par le gouvernement américain.

Pour appuyer ce qu'il avance, il s'est joint aux professeurs Steven Livingston et Sean Andy du George Washington University School of Media and Public Affairs afin de réaliser l'étude « TV News Scan ». Pendant des jours, ils ont enregistré les réseaux de télévision NBC, Fox News, CNN, ABC, CBS, CBC, Al Jazeera et Egyptian TV. Après l'étude de 5000 heures d'enregistrement, la conclusion est évidente : les réseaux américains ont mis l'accent sur les tactiques militaires et les batailles plutôt que sur les enjeux diplomatiques et les réactions de l'opinion publique. Sur les réseaux arabes, on a consacré 23 % du temps d'antenne aux enjeux diplomatiques et à la protestation, contre 7 % sur les réseaux américains.

L'étude conclue que 90 % de la couverture médiatique a été objective, et ce, pour l'ensemble des réseaux analysés, à une exception près : Fox News, qui a été objectif dans seulement 60 % des cas. De plus, le biais rencontré dans les nouvelles non objectives des réseaux américains était en faveur de la guerre, alors que sur les chaînes arabes, il était plutôt contre celle-ci.

En bref, Arthur Kent n'a jamais vu les réseaux de télévision « descendre aussi bas ». D'après lui, il est évident qu'ils ont aidé le gouvernement américain à atteindre ses objectifs de guerre. Il invite donc les journalistes à dénoncer la situation et à tenter de la corriger.

Discussion

Jeffrey Dvorkin est d'accord pour dire que la situation est inquiétante dans les médias. L'époque où l'on pouvait regarder la télévision et croire tout ce qui s'y disait est révolue. Le nombre de rumeurs qui passent pour des faits est incroyable. Il n'y a plus de contrôle de l'information, déplore-t-il.

D'ailleurs, les journalistes n'ont pas à donner leur opinion. Ils peuvent très bien citer des sources qui expriment différents points de vue.

Pour Arthur Kent, ce n'est pas l'expression d'opinions qui devrait primer, mais bien l'exposition des faits. Les journalistes devraient fouiller pour découvrir les faits cachés et ignorés.

Selon toute évidence, ce n'est pas ce qui se produit présentement, constate-t-il. Les réseaux de télévision sont plutôt en quête d'histoires qui feront grimper les cotes d'écoute et augmenter les revenus. Des histoires divertissantes comme seuls O. J., Monica et Diana peuvent en créer. De plus, on ne couvre jamais rien en profondeur.

La couverture de la guerre en Irak n'est pas différente, elle est même plus décourageante encore. La télévision n'est plus un service public : elle se fait le porte-parole de l'administration Bush. À cet égard, Kent se dit accablé par le temps d'antenne consacré aux points de presse officiels du gouvernement.

Jeffrey Dvorkin renchérit avec une étude qui vient prouver que 60 % des Américains croient certaines affirmations de l'administration Bush qui se sont révélées fausses au cours de la guerre en Irak.

… 48 % des Américains croient que les États-Unis ont trouvé des liens entre Saddam Hussein et Al-Quaïda.
… 22 % pensent que les États-Unis ont trouvé des armes de destruction massive en Irak.
… 25 % croient que la majorité des pays ont appuyé les États-Unis dans la guerre en Irak.

Ces trois affirmations sont erronées.

Selon Arthur Kent, cela signifie qu'il faut désormais regarder plusieurs bulletins de nouvelles sur des chaînes différentes et lire divers journaux. Nous ne pouvons plus nous fier à une seule source d'information, car si elle est biaisée, nous sommes induits en erreur sur toute la ligne.

Les deux hommes sont d'accord pour dire que les journalistes américains ne rapportent pas bien ce qui se passe en Irak, maintenant que le régime de Saddam Hussein est tombé. Comment les Irakiens vivent-ils l'« après-Saddam »? Il y a des pannes d'électricité fréquentes, on assiste à une pénurie de mazout, la corruption est grandissante dans les rues, les écoles ne sont pas reconstruites. Ces faits ne sont pas rapportés, mais ils mériteraient de l'être, tout comme les conséquences que la guerre en Irak pourrait avoir sur Israël et la Palestine.

Jeffrey Dvorkin met un bémol en soulignant qu'il ne faut pas trop dramatiser non plus. Il faut simplement essayer de refléter la réalité le plus possible dans les médias. Il croit que c'est ce que NPR fait, mais malheureusement, il ne fait pas partie des grands réseaux. Ses cotes d'écoute et son influence sont donc moindres.

Pour terminer, Donna Logan demande aux deux hommes de s'exprimer sur le travail des journalistes canadiens et britanniques pendant la guerre en Irak.

Arthur Kent répond que ceux-ci sont plus conscients du danger de mélanger journalisme et patriotisme que les journalistes américains.

Par contre, selon Jeffrey Dvorkin, ils ont tendance à confondre l'anti-mondialisation avec l'opposition aux décisions de Bush. Il faut toujours essayer de faire la part des choses et prendre un enjeu à la fois, conclut-il.




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